Du 12 au 18 novembre, le Centre canadien sur les dépendances et l’usage de substances (CCDUS) se joint à d’autres organismes de partout au pays pour marquer la Semaine nationale de sensibilisation aux dépendances (SNSD). La Faculté de médecine a voulu profiter de cette occasion pour rencontrer Anne-Noël Samaha, professeure agrégée au Département de pharmacologie et physiologie pour en apprendre davantage sur son travail de recherche qui porte sur la neurologie de l’addiction*. Elle et son équipe cherche à mieux comprendre la toxicomanie, ses symptômes et les traitements qui peuvent être envisagés.
Q. Selon vous, quelles sont les répercussions de vos travaux de recherche sur la société?
R. J’étudie la neurobiologie de l’addiction. Je veux comprendre comment et dans quels contextes les drogues modifient le cerveau et surtout, ce qui mène à l’addiction. Nos travaux et ceux de dizaines d’autres laboratoires semblables montrent que consommer des drogues, sans nécessairement tuer des cellules dans le cerveau, change la structure et la fonction de certaines cellules. De ce fait, le traitement de l’information dans certains circuits du cerveau est altéré, donc le fonctionnement de la personne l’est aussi. Ce type de résultats peut sensibiliser les gens au fait que l’addiction soit aussi un trouble du cerveau. Ce n’est pas seulement une question de volonté. La capacité des cellules du cerveau à communiquer entre elles est changée. Ainsi, certains consommateurs seront moins capables de prendre de bonnes décisions, d’envisager correctement les conséquences futures de leurs actes présents.
Nos travaux montrent aussi que les effets des drogues sont complexes et dépendent de plusieurs facteurs. Par exemple, les effets d’une même drogue peuvent être différents si une personne consomme par la voie intranasale ou par inhalation, ou si une personne consomme de manière intermittente ou continue.
[quote class= »text-big »] C’est quand même incroyable qu’il n’y ait toujours aucun médicament approuvé pour traiter l’addiction aux drogues stimulantes comme la cocaïne, l’amphétamine ou l’ecstasy. C’est une des raisons pour lesquelles la recherche sur les drogues d’abus doit être financée correctement. [/quote]
Q. Comment la communauté médicale intègre-t-elle les avancées dans votre domaine?
R. Lentement. Il y a toujours des efforts à faire pour qu’il y ait une meilleure communication entre les chercheurs et les cliniciens. Je ne sais pas toujours comment faire, mais en tant que chercheuse, je veux que nos découvertes sortent du labo, qu’elles soient connues des gens qui puissent en bénéficier le plus. Ceci inclut les cliniciens. Plus les cliniciens comprennent le mode de fonctionnement des drogues et leurs effets à long terme, mieux ils pourront conseiller et traiter les gens.
Il y a aussi un grand changement à faire dans la perception sociale de l’addiction, pour reconnaître que c’est un trouble médical. Cette perception influence la qualité des soins donnés aux toxicomanes. En parallèle, rares sont les médicaments disponibles pour aider ces personnes. C’est quand même incroyable qu’il n’y ait toujours aucun médicament approuvé pour traiter l’addiction aux drogues stimulantes comme la cocaïne, l’amphétamine ou l’ecstasy. C’est une des raisons pour lesquelles la recherche sur les drogues d’abus doit être financée correctement sauf que les compagnies pharmaceutiques s’intéressent rarement à l’addiction. Elles seules ont les ressources pour mener une découverte fondamentale dans un labo académique comme le mien vers un essai clinique. Mon impression est qu’il y a des préjugés sur ce trouble et l’addiction, ce n’est pas vendeur.
Q. Comment percevez-vous le futur des recherches sur la dépendance et la toxicomanie?
R. Présentement on se questionne sur la justesse de nos pratiques en recherche. Par exemple, pendant des années on supposait qu’il suffisait d’injecter des drogues aux animaux, et presque toujours des animaux mâles pour en faire des toxicomanes. Ce n’est pas une approche brillante. Quand on devient toxicomane, c’est parce qu’on a recherché et consommé la drogue volontairement. Nos modèles animaux doivent refléter cette consommation volontaire. C’est important parce que le cerveau réagit différemment à une drogue quand elle est prise volontairement ou quand elle est subie passivement. Enfin, les hommes et les femmes peuvent aussi répondre différemment aux drogues. Alors nos études doivent inclure des animaux des deux sexes. En gros, on améliore nos modèles animaux et nos pratiques en recherche. La qualité et l’utilité des données scientifiques en dépendent.
De plus en plus, on reconnaît aussi que les approches réductionnistes sont problématiques. Parfois, il suffit qu’un chercheur découvre que le cannabis change la réponse électrophysiologique d’une cellule, dans une tranche de cerveau d’un animal génétiquement modifié, pour clamer que cette découverte va guérir l’addiction! Ce n’est pas réaliste. À l’avenir la recherche deviendra plus multidisciplinaire. L’addiction implique des interactions complexes entre une personne, son vécu, son environnement et les effets de la drogue. Pour comprendre un trouble aussi complexe, des spécialistes de plusieurs domaines vont devoir travailler ensemble.
* Dans ce texte, le terme « addiction » est utilisé plutôt que « dépendance ». La dépendance physique est indiquée par des symptômes lors du sevrage. Elle peut faire partie d’un trouble d’addiction, mais elle n’en est pas synonyme. Ici nous référons spécifiquement au trouble d’addiction. Celui-ci se définit par un patron de consommation de drogue menant à un dysfonctionnement clinique significatif.
Brève biographie
Dre Anne-Noël Samaha est née à Dubaï, a grandi au Liban et au Canada. Elle a obtenu un doctorat en psychologie (biopsychologie) de l’Université du Michigan en 2004. Elle a complété une formation postdoctorale, d’abord à l’institut national de la santé et de la recherche médicale à Paris, puis au Centre d’addiction et de santé mentale, à Toronto.