Changer notre vision de l’autisme et faire évoluer la pratique

Lire avant même de parler. Décoder avant de comprendre. Être fasciné par les lettres et les mots. Prononcer un premier mot très atypique, comme « Couche-Tard ».

Voilà des caractéristiques observées chez des enfants dits « hyperlexiques », enfants qui, dans 84 % des études de cas, se trouvent sur le spectre de l’autisme, selon une étude menée par Alexia Ostrolenk, étudiante au Département de psychiatrie et d’addictologie.

Candidate au doctorat en sciences psychiatriques, Alexia Ostrolenk s’intéresse à l’hyperlexie, une condition qu’elle décrit comme « une force de décodage acquise précocement qui s’oppose à une compréhension écrite moins développée ». Cette condition se définit d’abord par un très grand intérêt, voire une fascination, pour tout le matériel écrit (les lettres et les chiffres), puis se développe en des capacités de décodage avancées par rapport à la compréhension.

« Les enfants hyperlexiques apprennent généralement très tôt et en l’absence d’enseignement explicite à décoder du texte, c’est-à-dire à prononcer des mots écrits, mais sans nécessairement en comprendre la teneur, explique Alexia Ostrolenk. Ces enfants voient un peu la lecture comme un casse-tête visuel, comme quelque chose à décoder, mais pas forcément comme un outil de communication. C’est donc logique que ce soit une condition généralement associée à l’autisme, qui se manifeste souvent aussi par un trouble de la communication. »

Comme sa recherche concerne l’autisme, elle est supervisée par le docteur Laurent Mottron, chercheur, psychiatre clinicien et spécialiste de renommée internationale des aspects comportementaux, cognitifs et émotionnels de l’autisme.

Ensemble, ils tentent de nuancer le portrait de l’autisme et de faire évoluer la perception populaire.

L’autisme, une force?

« Dans notre laboratoire de l’Hôpital en santé mentale Rivière-des-Prairies, poursuit Alexia Ostrolenk, on essaie de mettre l’accent sur les forces des personnes autistes, plutôt que seulement sur les déficits, les tâches ardues, les difficultés. »

À ses yeux, percevoir autrement l’autisme et ses attributs permet de développer des méthodes d’intervention plus adaptées à la réalité des personnes autistes, ce qui aurait des retombées positives sur leur bien-être et leur qualité de vie.

« Nos recherches peuvent être appliquées en intervention, où l’objectif est de regarder les intérêts et les forces de l’enfant autiste, et de les utiliser pour travailler les faiblesses. Les parents avec qui je travaille me disent souvent que je suis la première personne à leur dire qu’il y a des choses qui vont bien avec leur enfant. Ça fait du bien tant au parent qu’à l’enfant de voir le verre à moitié plein et de dire que l’enfant est bon en quelque chose. »

L’hyperlexie comme outil

Selon Alexia Ostrolenk, encourager des conditions comme l’hyperlexie plutôt qu’essayer de les supprimer permet de développer de nombreux outils d’intervention favorables au développement de l’enfant.

Par exemple, utiliser l’intérêt de l’enfant pour le matériel écrit peut faciliter l’apprentissage de certaines matières et devenir un canal de communication. Aussi, mettre de l’avant les lettres et les chiffres dans le quotidien de l’enfant peut incarner une source de plaisir et de satisfaction pour lui, voire une méthode pour calmer son anxiété.

« Nous avons avantage à valoriser des interventions basées sur les forces et les intérêts, conclut Alexia Ostrolenk. Une compréhension différente de ces signes par les cliniciens, les parents, et les enfants autistes peut mener à une amélioration de la perception des enfants et de leur entourage. Ce n’est pas parce que l’hyperlexie est un signe d’autisme que c’est une condition négative. »

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Alexia Ostrolenk a obtenu un baccalauréat en sciences de la vie à Paris, une maîtrise en sciences du cerveau et de l’esprit à Londres, ainsi qu’une maîtrise en neurosciences cognitives à Paris.

Elle a particulièrement à cœur la diffusion et la vulgarisation de ses recherches auprès du grand public. En octobre dernier, elle a d’ailleurs remporté une soirée à micro ouvert organisée par la Faculté de médecine, qui cherchait à récompenser le meilleur vulgarisateur parmi les boursiers 2018-2019 de la faculté.

Son groupe de recherche publie aussi Sur le Spectre, un magazine bilingue de vulgarisation sur l’autisme accessible gratuitement en ligne. Alexia Ostrolenk s’implique également auprès de Mission Cerveau / Brain Reach, un groupe géré par des étudiants de l’Université McGill qui offre des ateliers interactifs sur les neurosciences aux élèves de niveaux primaire et secondaire.

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Rédaction : Béatrice St-Cyr-Leroux

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